2.
Gankyû, le visage fermé, regardait les gens assis dans l’herbe.
Ils avaient tous l’air abattu. Leurs visages reflétaient un sentiment de colère et de tristesse contenues, faute de savoir à qui les exprimer. Celui qui semblait le plus affecté était un homme d’âge moyen, un des suivants de Kiwa, un certain Shôtan.
Kinhaku leur faisait face. Après un instant d’hésitation, il ouvrit la bouche.
— Bon... Voyons. Ça fait déjà un jour que la demoiselle a disparu. Si on ne la retrouve pas demain, on va… enfin…
Ils avaient passé la journée à la chercher. Leurs fouilles s’étaient concentrées entre l’endroit où ils avaient attaqué le shuen près de la voiture et le ravin dans lequel il avait fini par tomber. Mais cela n’avait rien donné.
Avant que Gankyû et les gôshi n’arrivent, ils avaient déjà interrompu leurs recherches. L’un d’eux, pourtant, était descendu au fond du creux où se trouvait le gros rocher, mais il n’avait pas vu l’entrée étroite de la crevasse qui se trouvait à sa base. Il avait même appelé Shushô, crié son nom à pleins poumons, sans penser qu’elle pouvait avoir perdu connaissance. D’autres s’étaient aventurés au milieu du bosquet d’arbustes qui poussait sur le versant de la cuvette, en avaient inspecté les moindres recoins en écartant les branches, mais leurs efforts avaient été vains.
— Donc, on va… commença Kinhaku.
La fin de sa phrase se perdit dans un murmure.
— Partez devant, dit Shôtan. Je reste ici. J’irai chercher mademoiselle Shushô. Laissez-moi juste un peu d’eau et des vivres, pour elle et pour moi.
— Vous êtes sérieux ? C’est…
— Quand nous avons été abandonnés ici, mademoiselle Shushô a été la seule à revenir nous chercher. Si je l’abandonne maintenant, je n’oserai même pas implorer le pardon du Ciel.
— T’as raison, commentèrent quelques hommes assis à ses côtés en hochant la tête.
Kinhaku laissa échapper un soupir.
— T’as entendu ? dit-il en se tournant vers Gankyû. Qu’est-ce que tu comptes faire, alors ?
Celui-ci pointa son doigt vers Rikô.
— Demande à ce monsieur. C’est lui mon client désormais.
Rikô lui renvoya un sourire.
— Nous restons. Nous sommes entrés dans la mer Jaune pour accompagner Shushô. Nous étions trois au départ, nous devons poursuivre le voyage à trois. Gankyû et moi irons la chercher, et après nous continuerons jusqu’au mont Hô.
— Mais… intervint Shôtan.
Rikô l’interrompit d’un sourire.
— Nous possédons un haku et un sûgu. Quand nous l’aurons retrouvée, nous vous rattraperons. Partez avec Kinhaku et ses collègues rejoindre le premier groupe et ralentissez le convoi.
— Que je le ralentisse ?
— Oui. Certains ascensionnistes comme Chodai sont pressés d’arriver. Essayez d’entraver leur progression pour qu’ils n’aillent pas trop vite. Ça nous laissera le temps de vous rattraper.
— Oui, entendu. Mais…
— Ne vous inquiétez pas. Shushô a été capable de diriger tous ces gens, et elle a réussi à abattre un yôma sans l’aide des gôshi. Ce n’est pas une gamine ordinaire.
— Oui, c’est vrai, approuva Shôtan en souriant.
Kinhaku aussi affichait un grand sourire.
— Effectivement. Quand j’ai appris qu’elle vous avait conseillé de marcher de nuit, j’ai vraiment été impressionné.
Shôtan n’avait pas l’air de comprendre.
— Quand on doit se déplacer en terrain dégagé, il vaut mieux le faire de nuit. C’est ce qu’on fait, nous, les Kôshu. Gankyû n’avait pas appris cette technique à Shushô. Elle l’a trouvée toute seule. C’est incroyable, non ? Alors, ne vous faites pas de souci. Tout ira bien.
Il s’adressa à l’assemblée.
— Tout le monde est bien d’accord : on part maintenant et on fait le plus de chemin possible jusqu’au lever du soleil. Si Gankyû se charge de retrouver Shushô, on n’a plus à s’inquiéter. Nous, ce qui nous reste à faire, c’est de rattraper les autres et d’essayer de les ralentir. Chodai est tellement pressé et Kiwa a tellement la frousse qu’ils sont bien capables d’aller jusqu’au mont Hô au pas de course. Il faut tout faire pour les en empêcher !
— D’accord, répondirent les autres en chœur.
Shôtan finit lui aussi par acquiescer et tous se mirent en route. Kinhaku, soulagé, jeta un dernier regard à Gankyû, qui lui répondit d’un signe de la main en soupirant.
— Et merde… murmura Gankyû.
Sa réaction n’avait pas échappé à Rikô.
— Pourquoi tu râles ? Pour un shushi, voyager dans la mer Jaune en petit groupe, ce n’est pas si compliqué, non ?
— Oui, si je suis pas avec des novices.
— De toute façon, maintenant que je te paye, tu n’as plus le droit de te plaindre. Alors, on fait quoi ?
— On se couche et on garde le feu allumé. Quand on cherche quelqu’un, il vaut mieux le faire en plein jour. Et on sait jamais, peut-être que Shushô apercevra les flammes.
— Oui, c’est possible.